Rwanda: Cartographie des crimes
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Ways To Get Rid of Kagame
- The people should overthrow the Rwandan dictator (often put in place by foreign agencies) and throw him, along with his henchmen and family, out of the country – e.g., the Shah of Iran, Marcos of Philippines.Compaore of Burkina Faso
- Rwandans organize a violent revolution and have the dictator killed – e.g., Ceaucescu in Romania.
- Foreign powers (till then maintaining the dictator) force the dictator to exile without armed intervention – e.g. Mátyás Rákosi of Hungary was exiled by the Soviets to Kirgizia in 1970 to “seek medical attention”.
- Foreign powers march in and remove the dictator (whom they either instated or helped earlier) – e.g. Saddam Hussein of Iraq or Manuel Noriega of Panama.
- The dictator kills himself in an act of desperation – e.g., Hitler in 1945.
- The dictator is assassinated by people near him – e.g., Julius Caesar of Rome in 44 AD was stabbed by 60-70 people (only one wound was fatal though).
- Organise strikes and unrest to paralyze the country and convince even the army not to support the dictaor – e.g., Jorge Ubico y Castañeda was ousted in Guatemala in 1944 and Guatemala became democratic, Recedntly in Burkina Faso with the dictator Blaise Compaoré.
Almighty God :Justice for US
Killing Hutus on daily basis
RPF Trade Mark: Akandoya
Fighting For Our Freedom?
KAGAME VS JUSTICE
par Filip Reyntjens
Abstract
Visible for many years, the authoritarian nature of the regime was confirmed. The parliamentary elections of September 2008 were a vast fraud. While many irregularities were noted by a EU Observer Mission, its report failed to point out that the regime “corrected” the result that was seen as too “Stalinist”: the 98% of the vote obtained was brought down to 78%. So Rwanda effectively remains a one-party state. The regime has continued to rewrite the history of the country and to develop legal instruments aimed at suppressing dissent. Victors’ justice continues to be meted out in both domestic courts and the International Criminal Tribunal for Rwanda (ICTR). However, doubts about the possibility of organising fair trials in Rwanda have led the ICTR and courts in third countries to refuse transfers of cases and extraditions. The human rights situation has remained poor, but the regime does not need to resort to large scale and visible abuse any longer, as a totalitarian environment has reduced dissident voices to silence. The role played by Rwanda in the DRC has again come to the fore. In December 2008, a new UN report found that Rwanda continued to support the Congolese rebel movement CNDP militarily and financially. As this led to international condemnation, the Rwandan army joined the Congolese one in an operation that effectively neutralised the CNDP but failed to tackle the problems caused by the Rwandan Hutu rebel force FDLR.
- INTRODUCTION
Cette chronique ne portera cette fois que sur le Rwanda, pour deux raisons. D’une part, l’article de Stef Vandeginste ailleurs dans cet Annuaire traite de la gouvernance au Burundi et aborde des thèmes qui sont d’habitude traités dans cette chronique. De l’autre, l’actualité politique rwandaise a été riche en événements qui méritent une attention suffisante. Quatre thèmes en particulier suscitent l’intérêt. La façon frauduleuse dont les élections législatives de septembre 2008 ont été organisées a reçu une réponse ambigüe et inappropriée de la communauté internationale, et de l’UE en particulier. En même temps, le régime a renforcé le balisage des espaces d’expression en criminalisant les opinions divergentes et en étendant ses instruments de contrôle et de surveillance. En revanche, le caractère autoritaire du pouvoir a été reconnu par une série de décisions de justice unanimes, au TPIR et dans des pays tiers, refusant de faire confiance au système judiciaire rwandais. Enfin, son comportement en RDC a valu au Rwanda des condamnations internationales, voire même une remise en cause de l’aide généreuse dont il a bénéficié par le passé. Le régime a du mal à s’adapter à une situation pour lui inédite, celle de devoir négocier ses relations avec l’extérieur dans un contexte où tout ne lui est plus permis.
2. GOUVERNANCE ET INSTITUTIONS
Un moment électoral à l’échelle nationale occuperait normalement une place prédominante dans une chronique politique. Or une analyse approfondie des élections législatives de septembre 2008 est inutile, puisqu’il ne s’est pas agi en réalité d’élections, mais bien d’une vaste fraude. Qui plus est, elle a été couverte par la communauté internationale. Le résultat officiel de l’élection directe[4][1] de la chambre des députés est le suivant : FPR 78,76 % des voix (42 sièges), PSD 13,12 % (7 sièges) et PL 7,50 % (4 sièges). Cependant, en réalité la machine du FPR a trop bien fonctionné, puisqu’un échantillon de près de 25 % de l’ensemble des votes recueilli par la mission d’observation de l’UE (cf. infra) montre que le FPR a obtenu 98,39 % des voix[5][2]. Constatant que le résultat est trop « stalinien », le FPR revoit son résultat à la baisse et « octroie » quelques sièges au PSD et au PL, qui de toute façon ne se situent pas dans l’opposition[6][3].
La mission d’observation de l’UE émet des critiques fondamentales qui, à elles seules, suffiraient à discréditer l’ensemble du scrutin : ainsi, par exemple, les urnes ne sont pas scellées dans 76 % des bureaux observés ; à l’issue du vote, les couvercles ne sont pas scellés dans 73 % des cas ; une heure se passe entre la fin du vote et le début du comptage ; les formulaires des résultats du comptage ne sont pas mis dans des enveloppes fermées dans 68 % des cas ; les procédures de consolidation ne sont pas respectées dans 64 % des cas, etc.[7][4]. Les menaces, intimidations et « orientations » qui ont précédé le jour du scrutin ne peuvent évidemment être observées. Malgré ses constats, la mission voit ces élections « comme un pas important dans le processus d’institutionnalisati on du processus démocratique au Rwanda »[8][5]. Lors de la présentation du rapport à Kigali, le président de la mission, le membre britannique du Parlement européen Michael Cashman, affirme que « le processus de démocratisation au Rwanda depuis la fin du génocide est remarquable »[9][6]. On comprend pourquoi le délai entre la mission et la publication du rapport final est grand et pourquoi ce rapport est discrètement présenté au Rwanda, sans que la presse internationale n’en fasse état. Nous avons vu en effet qu’un fort échantillon (dont la marge d’erreur est insignifiante) recueilli par la mission montre le caractère profondément vicié de l’exercice. Il y a donc eu d’âpres débats au sein de la mission au sujet de l’inclusion ou non de ce constat, mais Cashman a fini par prévaloir, et le rapport n’en fait pas état[10][7]. Un rapport bidon sur des élections bidon, donc.
Le signal que donne l’UE est évidemment désastreux, puisque le régime rwandais sait que la mission est au courant de la fraude, mais qu’elle ne la dénonce pas. Cela signifie qu’il est rassuré sur le fait qu’il peut se permettre de récidiver lors des élections présidentielles de 2010[11][8]. De même, se sachant couverts par l’impunité, d’autres régimes dans la région pourraient être tentés de suivre l’exemple rwandais. Si une mission ne rapporte pas ce qu’elle a observé, elle est donc inutile et même contreproductive, et l’UE devrait cesser d’y consacrer l’argent du contribuable.
Le régime a continué à évoluer dans deux sens opposés. D’une part, tout comme sous le pouvoir qui l’a précédé, la gouvernance bureaucratique ou technocratique est bien meilleure que la moyenne africaine. Ainsi, d’après le rapport Doing Business 2009, publié en octobre 2008 par la Banque mondiale, en gagnant onze places et se classant au 139e rang mondial, le Rwanda est parmi les meilleurs « réformateurs » du continent. Un des moyens mis en œuvre est la lutte contre la corruption. Fin 2008, début 2009, de nombreux hauts responsables sont arrêtés, dont des officiers de la police et de l’armée, des directeurs généraux d’établissements publics, des fonctionnaires. À la mi-janvier 2009, un conseil consultatif anti-corruption, dont les activités sont coordonnées par l’office de l’ombudsman, est mis en place. Des craintes sont cependant exprimées disant que « cette lutte reste de façade et s’acharne surtout sur les plus faibles »[12][9]. Kagame est exigeant et épingle toute défaillance : lors d’une conférence de presse à Kigali le 17 décembre 2008, il fustige les faiblesses tant de l’ombudsman que de l’office d’information ORINFOR, dont il insulte publiquement l’ancien directeur général Joseph Bideri[13][10] ; il risque ainsi de se mettre à dos de plus en plus des personnes qui lui étaient proches, et de s’isoler, voire de susciter des réactions de la part de ceux qui se sentent menacés.
Dans le domaine de la santé, une étude suggère que la combinaison d’une meilleure coordination de l’aide internationale avec la politique gouvernementale, de la mise en place d’un système d’assurance-santé et de l’introduction d’un régime de paiement basé sur les performances pourrait permettre au pays de réaliser les objectifs du millénaire dans ce secteur[14][11]. Dans un domaine qui semble plus frivole, mais qui n’est pas sans danger, le Rwanda ambitionne de devenir une sorte de mini Las Vegas. En décembre 2008, Casino Kigali est ouvert avec l’appui d’un groupe russe ; de même des projets de loterie mobile et de jeux de hasard télévisés sont lancés ; en janvier 2009, la société Tilia Games annonce l’importation de 2000 machines à sous[15][12]. Ce type d’industrie confirme évidemment l’image de la déconnection économique de Kigali par rapport à l’ensemble du pays.
À cheval sur la performance de l’État et la mauvaise gouvernance politique se trouve la nature totalitaire du régime, qui désire contrôler tout et tout le monde. C’est dans ce cadre qu’il faut voir la loi no. 48/2008 du 9 septembre 2008 portant interception des communications[16][13]. Ce texte ne fait que confirmer une situation existante, puisque les interceptions sont permises sans le moindre contrôle : « Les services compétents[17][14] sont autorisés à intercepter les communications pour des raisons de sécurité nationale » (art. 3). Dans ce texte d’une qualité légistique très douteuse, il est stipulé que le mandat d’interception « est émis par un procureur compétent » (art. 4), alors que « la demande d’interception légale »[18][15] est formulée par le chef du Service National de Sécurité (art. 5). C’est aux « fournisseurs de services de communication » de « s’assurer que [leurs] systèmes sont techniquement capables de supporter des interceptions légales à tout moment tel que prévu par les lois en vigueur » (art. 8). En somme, rien de très neuf : par le passé, le bureau du procureur du TPIR à Kigali, la mission d’observation électorale de l’UE et la représentation de Human Rights Watch, pour ne citer que ceux-là, s’étaient déjà rendus compte que leurs lignes téléphoniques étaient sur écoute et que leurs communications électroniques étaient surveillées. Les mauvaises langues disent que, il y a des années déjà, ce dispositif d’interception a été livré par les États-Unis ; il faut donc supposer que les Américains ont mis en place un système de communications sûres dans leur nouvelle et immense ambassade à Kigali…
Le régime continue par ailleurs à créer de nouveaux instruments juridiques tendant à criminaliser les positions et opinions qui divergent de celles émises par le FPR. Le droit doit ainsi venir en aide à ce que Johan Pottier appelle « le projet de réécriture de l’histoire »[19][16]. Après qu’en 2002, une loi a érigé le « sectarisme » (plus tard appelé « divisionnisme ») en infraction passible de lourdes peines de prison, alors qu’aucun juge interviewé par Human Rights Watch ne soit capable d’en définir les éléments constitutifs[20][17], la loi n° 18/2008 du 23 juillet 2008 porte répression du crime d’« idéologie du génocide »[21][18]. Cette loi très mal rédigée du point de vue légistique définit l’idéologie du génocide comme « un agrégat d’idées qui se manifestent par des comportements, des propos, des écrits et tous les autres actes visant ou incitant les autres à exterminer des groupes humains en raison de leur ethnie, origine, nationalité, région, couleur, apparence physique, sexe, langue, religion ou opinion politique » (art. 2)[22][19]. Qu’est-ce qui est punissable : l’agrégat d’idées, ses manifestations, les visées ou incitations ? L’art. 3 ne nous éclaire pas, puisque le crime « est caractérisé par des comportements qui se manifestent à travers les faits visant à déshumaniser un individu ou un groupe d’individus ayant entre eux un lien commun tel que (…) » (suit une liste éparse de comportements, dont « créer la confusion visant à nier le génocide »). Même les mineurs d’âge sont punissables (art. 9), de même que les parents, tuteurs, adoptants, enseignants et directeurs d’école qui leur ont « inoculé » cette idéologie (art. 11). Alors que le texte est vague à l’extrême, les peines sont très lourdes : de dix à 25 ans d’emprisonnement, peine portée au double en cas de récidive. En août 2008, dix personnes sont arrêtées à Byumba, notamment pour avoir gardé chez eux l’ancien drapeau national[23][20], fait également reproché au directeur sud-africain d’une agence de tourisme[24][21]. En septembre, deux élèves de l’école primaire de Busanza sont arrêtées pour avoir traité, en privé, une autre élève rescapée du génocide de « cancrelat »[25][22]. Les dangers de l’abus politique de ces qualifications vagues sont encore illustrés lorsque, en avril 2009, le président d’Ibuka accuse le chanteur Jean Paul Samputu, lui-même rescapé du génocide, de « révisionnisme » pour avoir publiquement déclaré qu’il pardonnait à celui qui avait tué des membres de sa famille[26][23].
À côté de ces lois pénales, la constitution est également utilisée comme instrument d’écriture de l’histoire. À part un grand nombre d’amendements techniques, la révision constitutionnelle du 13 août 2008 modifie l’article 51 par l’ajout « perpétré contre les Tutsi » après le mot « génocide », ce qui doit sans doute décourager les adeptes du « double génocide ». Dans la même veine, le but d’une conférence internationale organisée à Kigali en juillet 2008 est « d’une part de constater l’échec des sciences humaines et des sciences sociales qui ont conduit au génocide (sic), et d’autre part la refondation des sciences humaines et sociales grâce à l’effort des Rwandais ». Manifestement très ambitieux, le colloque en appelle à « une nouvelle méthodologie, à une nouvelle littérature, à une nouvelle histoire »[27][24]. Une des façons d’inculquer cette « nouvelle histoire » sont les camps d’éducation civique ingando. Fin 2008, ceux-ci sont étendus aux étudiants des institutions privées d’enseignement supérieur et même à ceux de la diaspora[28][25]. Il n’y est pas question uniquement de la construction d’une société « libérée de l’idéologie du génocide » : on voit les étudiants parader en tenue militaire, bâton sur l’épaule comme un fusil, et, d’après le commandant de l’académie militaire de Gako qui héberge une de ces formations, les étudiants sont entraînés au drill militaire et au maniement des armes[29][26].
Le régime fait à nouveau preuve à la fois de son ambitieuse ingénierie et de son autoritarisme, lorsqu’il prend une décision à très grande portée sans avoir au préalable engagé le moindre débat public, y compris au parlement. Le 8 octobre 2008, le gouvernement décide que la seule langue officielle et d’enseignement, du primaire à l’université, sera désormais l’anglais[30][27]. La ministre de l’Éducation Daphrose Gahakwa explique que cette démarche permettra au Rwanda d’adhérer prochainement au Commonwealth[31][28]. D’abord, la mesure va à l’encontre de la constitution, qui stipule que les trois langues officielles sont le kinyarwanda, le français et l’anglais. Mais elle est surtout un cas de mauvaise gouvernance. En effet, très peu d’enseignants connaissent l’anglais, ce qui provoquera inévitablement une diminution de la qualité de l’enseignement, qui sera dispensé en anglais ‘approximatif’. Cela ne pose pas de problèmes pour les nantis, qui disposent d’enseignants anglophones dans leurs écoles privées, mais pour la grande majorité des Rwandais, les effets risquent d’être pervers, d’autant plus que la mesure entre en application sans période de transition, dès la prochaine rentrée scolaire, c’est-à-dire en janvier 2009. Les premiers échos ne sont en effet pas encourageants. « Seuls deux enseignants par école ont été formés pendant les deux mois de vacances. Les autres sont obligés de s’adapter, au risque de perdre leur emploi »[32][29]. Enseignants et parents sont désorientés : « Avec l’introduction de l’anglais comme langue d’apprentissage, nous ne sommes plus capables d’encadrer nos enfants le soir. Comment y arriverions- nous quand les enseignants eux-mêmes, formés pendant deux mois seulement, ne sont pas capables de le faire ? »[33][30]. Ces incertitudes s’ajoutent à celles, relevées dans cette chronique l’an dernier, engendrées par la lutte contre l’idéologie du génocide dans les écoles (fichage des élèves et enseignants, suppression des manuels d’apprentissage du kinyarwanda) .
Des mesures radicales et peu réfléchies dans d’autres domaines ont les effets pervers qui étaient pourtant prévisibles. L’ingénierie rurale pratiquée ‘par le sommet’ depuis quelques années augmente les inégalités et fragilise davantage les paysans, et surtout les plus pauvres parmi eux[34][31]. Ainsi, l’obligation de ne planter qu’une seule culture provoque disettes et malnutrition. Alors que Kagame dit ne pas comprendre « comment à notre époque, un adulte peut être atteint de kwashiorkor »[35][32], pour les paysans, le nœud du problème est la politique gouvernementale : « La dernière saison culturale, on nous a obligés à cultiver seulement le maïs, et nous n’avons rien récolté à cause d’une grande sécheresse. (…) Si on pouvait mettre plusieurs cultures en même temps, au moins on pourrait en sauver une partie »[36][33].
Alors que, par l’effet du muselage de l’opinion à l’intérieur du pays, on n’a que peu d’informations sur la façon dont la gouvernance politique est perçue, une initiative unique et étonnante offre une vue intéressante « du dedans ». En vue du désarmement et du rapatriement de combattants du Ralliemant pour l’Unité et la Démocratie (RUD) et du Rassemblement du Peuple Rwandais (RPR), suite à une « feuille de route » convenue à Kisangani en mai 2008, une « visite exploratoire » est menée au Rwanda par une délégation des deux mouvements en janvier 2009. Même si, d’après le rapport de la visite, le gouvernement a mis des obstacles à l’exécution du programme initialement prévu, notamment en refusant l’accès à certains sites, les observations sont intéressantes, puisque ces constats – tout en étant connus par de nombreux Rwandais – n’auraient pas pu être ventilés à l’intérieur du pays[37][34]. Le rapport note entre autres le retour en RDC d’ex-combattants rapatriés volontairement pour combattre dans les rangs du CNDP (cf. infra) ou dans la traque de réfugiés rwandais ; la saisie à Kigali de propriétés sans compensation adéquate ; la terreur que beaucoup de gens subissent de la part des services de renseignements et des Local Defense Forces (LDF) ; l’enrôlement au FPR par la force et l’intimidation, et l’obligation de voter pour le FPR lors des élections législatives de septembre 2008 (cf. supra) ; le fait que « seuls les Tutsi et les membres du FPR (…) peuvent travailler dans les fonctions administratives, de police ou militaire ». Quant à la réconciliation, « les procès dans les cours gacaca ne rendent pas une justice équitable » et « le mémorial de 1994 de Gisozi incite à la haine ethnique ». Parmi les obstacles au rapatriement volontaire, le rapport note entre autres « l’absence de liberté de participation à la vie politique ».
3. JUSTICE
D’après un porte-parole du Service national des juridictions gacaca (SNJG), au début 2009, plus de 1,5 million d’affaires ont été jugées[38][35] et tous les procès, y compris en appel et en révision, devraient être terminés en juin 2009. Après la compilation des données et la rédaction d’un rapport final, le SNJG serait fermé à la fin de l’année[39][36]. Dans l’Annuaire précédent, j’ai déjà évoqué, sur base des études de Ingelaere, les difficultés de dire la vérité devant les tribunaux gacaca. Bénédicte Van Cutsem met le doigt sur un autre échec : « Les juridictions gacaca, loin de remplir leurs objectifs de justice, de recherche de la vérité, de lutte contre l’impunité et de réconciliation, semblent plutôt renforcer les mécanismes de réponse sociale à la méfiance, à la peur de l’autre et à la rancœur »[40][37]. Human Rights Watch observe que les juridictions gacaca « laissent derrière eux un nombre important de personnes insatisfaites, tant parmi les rescapés du génocide que parmi celles qui s’estiment injustement accusées d’actes de génocide » et constate par ailleurs que les procédures « ont facilité pour les autorités et autres personnes travaillant avec elles d’influencer le cours de la justice à des fins personnelles et politiques »[41][38]. Sous réserve de ce que des études globales apprendront à l’issue de cette expérience unique, il se pourrait donc que le gacaca ait apporté le contraire de la vérité, la justice et la réconciliation qu’il était censé réaliser. Dans ces circonstances, c’est avec étonnement qu’on lit le rapport d’évaluation du projet FED « Soutien à l’État de Droit », qui se cantonne dans un cadre essentiellement technique et, concernant l’appui au SNJC, ne se pose aucune question sur la substance et l’impact de ce processus[42][39].
Parmi les procès menés devant les juridictions classiques, celui qui a fait les plus de bruit se situe en parallèle des travaux du TPIR (cf. infra)[43][40]. Poussé par les accusations que le TPIR pratique une justice des vainqueurs, mais en même temps refusant de poursuivre lui-même des suspects du FPR (cf. Annuaires précédents), le procureur Jallow annonce qu’il est établi que « le 5 juin 1994, des soldats du FPR avaient tué treize hommes d’église » et que le procureur général du Rwanda lui a fait part de sa décision « d’inculper et poursuivre pour meurtre et complicité de meurtre quatre officiers supérieurs de l’armée rwandaise »[44][41]. Même si Jallow précise que ces hommes seront poursuivis pour crimes de guerre –qui relèvent du mandat du TPIR–, ils le seront pour meurtre uniquement. Pour cause, puisque le régime de Kigali nie systématiquement que ses militaires ont commis des violations du droit international humanitaire[45][42]. Jallow se réserve le droit de reprendre ce dossier si la procédure au Rwanda n’est pas bien conduite[46][43], affirmation étonnante puisque, en première instance et en appel, le TPIR refuse le transfert d’inculpés au Rwanda, justement parce qu’il ne fait pas confiance à la justice rwandaise (cf. infra)[47][44]. À peine deux semaines après l’annonce de Jallow, quatre hommes se trouvent devant la cour militaire à Kigali : les capitaines John Butera et Dieudonné Rukeba pour meurtre, le major Wilson Ukwishaka et le général de brigade Wilson Gumusiriza pour complicité de meurtre. Il semble bien s’agir de boucs émissaires, puisque Ruzibiza (qui implique deux des quatre inculpés dans le crime) affirme que Kagame en personne a donné ordre au lieutenant-colonel (grade de l’époque) Ibingira « de tuer tous ces religieux mais en secret »[48][45]. Lorsque l’archevêque de Kigali, Mgr Vincent Ntihinyurwa, dit craindre des ingérences du pouvoir exécutif et préférer que le procès soit mené devant le TPIR, Kagame se dit « surpris d’entendre cette position de la part de Mgr Ntihinyurwa, qui lui-même a fait l’objet d’enquêtes sur son rôle personnel présumé dans le génocide »[49][46] ; la menace est à peine voilée.
Le verdict tombe le 24 octobre 2008 : Gumisiriza et Ukwishaka sont acquittés, alors que Butera et Rukeba sont condamnés chacun à huit ans de prison. D’habitude, le régime réagit furieusement lorsqu’un inculpé est acquitté par le TPIR, mais cette fois-ci on n’entend aucune protestation. Sans doute pour sauver les apparences, le ministère public, qui avait requis la perpétuité pour Gumisiriza et Ukwishaka et quinze ans pour Butera et Rukeba, se pourvoit en appel, sans succès : le 25 février 2009, l’acquittement des deux premiers est confirmé, tandis que les peines des deux autres sont réduites à cinq ans. Plusieurs mois après le procès, il s'est avéré impossible de savoir si le procureur du TPIR estime qu'il a été conduit correctement: mes demandes répétées à Jallow et à son substitut William Egbe, chargé de suivre ce dossier, n'ont pas reçu de réponse, ce qui montre bien que le bureau du procureur est fort embarrassé par cette affaire.
En effet, la période étudiée ici a été une « année horrible » pour l’image de la justice rwandaise. A une exception près, toutes les demandes, soit de transfert de dossiers du TPIR, soit d’extradition par des pays tiers, ont été refusées, essentiellement parce que les juridictions concernées estiment que les procès équitables sont impossibles au Rwanda. Au niveau du TPIR, cinq demandes faites par le procureur en vertu de l’article 11bis du règlement de procédure et de preuve sont rejetées par les chambres de première instance en des termes quasi analogues : tout en saluant « les progrès notables du Rwanda dans l’amélioration de son système judiciaire », elles ne sont pas convaincues que l’inculpé « puisse bénéficier d’un procès équitable s’il était transféré au Rwanda » ; en cause, notamment, la protection et la disponibilité des témoins résidant à l’étranger et la peine d’emprisonnement à perpétuité avec isolement carcéral qui pourrait être prononcée. Dans les affaires sur lesquelles elle a eu à se prononcer, la chambre d’appel s’est ralliée à cette position, qui est ainsi devenue une jurisprudence constante, avec toutes les conséquences prévisibles pour la « stratégie d’achèvement » du tribunal (cf. infra).
A part une exception, les pays tiers adoptent systématiquement la même position. En France, les cours d’appel de Toulouse (23 octobre 2008), de Paris (10 décembre 2008) et de Lyon (9 janvier 2009) refusent d’autoriser les extraditions vers le Rwanda, dans des termes similaires à ceux du TPIR et se en référant à sa jurisprudence. En Allemagne, il en est de même de la cour d’appel de Francfort dans l’affaire Mbarushimana (3 novembre 2008). Au Royaume-Uni, un juge autorise initialement l’extradition de quatre Rwandais[50][47], mais en appel la Haute Cour renverse cette décision et conclut que « si les appelants étaient extradés, il y aurait un risque réel qu’ils subiraient un flagrant déni de justice »[51][48]. Contrairement au premier juge et au témoin expert du gouvernement rwandais, Bill Schabas, la Haute Cour ne s’arrête pas qu’aux aspects techniques de la justice rwandaise, qu’elle situe, comme il se doit, dans le contexte politique d’un pouvoir dictatorial. En revanche, la cour suprême suédoise se prononce le 27 mai 2009 en faveur de l’extradition de Sylvère Ahorugeze. C’est cependant au ministre de la Justice qu’appartient la décision finale[52][49].
Un important rapport déjà cité de Human Rights Watch résume bien les faiblesses de la justice rwandaise, et il a d’ailleurs influencé les décisions du TPIR et dans des pays tiers. Il observe que « [l]es autorités judiciaires fonctionnent dans un contexte politique où l’exécutif continue à dominer le pouvoir judiciaire et où il existe une antipathie officielle envers les opinions divergentes de celles du gouvernement et du parti dominant, le FPR ». Après avoir rappelé les risques inhérents aux qualifications vagues de « divisionnisme » et d’« idéologie du génocide » (cf. supra), le rapport constate qu’« [u]n nombre important de poursuites engagées pour actes de génocide a été entaché par l’ingérence dans le processus judiciaire de personnes influentes, certaines travaillant pour le gouvernement, et par d’autres violations des droits à un procès équitable »[53][50]. La justice des vainqueurs est une nouvelle fois dénoncée : « Au Rwanda, des considérations politiques ont rendu virtuellement impossible pour les victimes des crimes commis par des soldats de l’APR d’obtenir justice. (…) Devant les tribunaux se trouvant hors de ses frontières, le Rwanda s’est employé énergiquement à poursuivre son objectif : éviter les poursuites contre ses soldats »[54][51].
Il est évident depuis quelques années déjà que le TPIR ne parviendra pas à terminer son mandat en première instance à la fin de 2008, date prévue pour la clôture de ses opérations. En mai 2008, le président Byron dit que « [s]i jamais (les transferts vers le Rwanda) sont refusés[55][52] et qu’il soit de la responsabilité du Tribunal de juger ces affaires, il est possible que ces affaires additionnelles ne soient pas finies en décembre 2008 »[56][53]. Alors que le Rwanda s’oppose à une prolongation[57][54], le 18 juillet 2008, le conseil de sécurité proroge le mandat des juges jusqu’au 31 décembre 2009. Même ce nouveau calendrier est irréaliste : en octobre 2008, « les acteurs des procès d’Arusha (…) estiment entre deux et cinq ans la durée des procès encore à accomplir »[58][55], délai qui s’étendrait encore si des suspects du FPR étaient poursuivis, ce sur quoi Human Rights Watch insiste une nouvelle fois en décembre 2008[59][56]. Vu la lâcheté du procureur, cette perspective est toutefois devenue de moins en moins probable.
Pendant la période étudiée ici, cinq jugements ont été rendus par le TPIR, dont un concerne quatre accusés. Neuf procès sont en cours, dont quatre concernent plusieurs personnes, pour un total de 23 accusés. Huit procès n’ont même pas débuté et treize accusés sont en fuite. À la lumière de l’expérience du passé, on a donc du mal à partager l’optimisme du président Byron qui, en octobre 2008, annonce 38 jugements dans les quatorze prochains mois[60][57]. Six mois plus tard, six de ces jugements sont effectivement rendus.
Le verdict le plus attendu, dans l’affaire Bagosora et al., tombe finalement le 18 décembre 2008 à l’issue d’un procès qui a duré plus de sept ans. Le colonel Théoneste Bagosora (directeur de cabinet au ministère de la Défense), le colonel Anatole Nsengiyumva (commandant du secteur opérationel de Gisenyi) et le major Aloys Ntabakuze (commandant du bataillon para-commando) sont condamnés à l’emprisonnement à vie, tandis que le général Gratien Kabiligi (chef du bureau G3 à l’état-major) est acquitté sur toute la ligne par manque de preuves[61][58]. Ce jugement était prévisible, sauf sur un point. En effet, alors que Bagosora en particulier était présenté comme l’« architecte » ou le « cerveau » du génocide, lui-même et ses co-accusés sont acquittés du chef d’entente en vue de commettre le génocide. Après examen des faits que le procureur considère comme un faisceau d’indications, la chambre se dit « not satisfied that the Prosecutor has proven beyond reasonable doubt that the four Accused conspired among themselves or with others to commit genocide before it unfolded on 7 April 1994 »[62][59]. À l’issue de ce procès clé, on se retrouve donc avec un génocide, mais sans conspiration préalable, du moins au niveau central. Certains en ont un peu vite conclu que cela pourrait signifier qu’il n’y a pas eu génocide. Ainsi, Peter Erlinder, un des avocats de la défense et président de l’APAD (Association des avocats de la défense du TPIR), écrit que « if (the accused) engaged in no conspiracy and no planning to kill ethnic civilians, the tragedy that engulfed Rwanda in 1994 may not properly be called a ‘genocide’ at all »[63][60]. Or, même si l’entente n’est pas prouvée dans le chef des accusés, le génocide est établi et ce chef est retenu pour les trois condamnés. On semble vouloir oublier que la convention sur le génocide requiert l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe ethnique en tant que tel, et non pas la planification ou la conspiration. Il n’empêche que cette issue n’est pas satisfaisante, non pour des raisons juridiques, mais bien historiques : on aurait en effet souhaité qu’après ce long et coûteux procès, on en ait su plus sur l’organisation du génocide au niveau central.
La plupart des procédures dans des pays tiers ont porté sur des demandes d’extradition de la part des autorités rwandaises. J’en ai parlé plus haut et n’y reviens pas ici, si ce n’est pour attirer l’attention sur le « piège de l’impunité », lorsque, d’une part, un suspect ne peut être extradé, mais que, de l’autre, il ne peut être jugé dans le pays tiers, comme cela semble être le cas au Royaume-Uni[64][61]. Dans la plupart des autres pays, les poursuites sont possibles en vertu de la compétence universelle ou lorsque la victime est ressortissante du pays en question (personnalité passive), mais elles ont été rares. Fin mars 2009, l’ancien membre des Interahamwe Joseph Mpambara est condamné à vingt ans de prison aux Pays-Bas pour meurtre et torture, mais pas pour crimes de guerre, le tribunal de La Haye estimant que les massacres de Tutsi ne se sont pas produits dans un contexte de guerre[65][62]. Le 22 mai 2009, après un procès qui a duré deux ans, Désiré Munyaneza est condamné par un tribunal québécois[66][63]. Il s’agit de la première condamnation en vertu du Crimes Against Humanity and War Crimes Act canadien de 2000. En Belgique, où trois procès d’assises ont déjà eu lieu en vertu de la loi sur la compétence universelle, Ephrem Nkezabera sera jugé à partir du 9 novembre 2009. Ancien membre du comité des Interahamwe du MRND, il a été déféré à la justice belge en 2004, suite à un accord avec le procureur du TPIR avec lequel il a collaboré dans plusieurs affaires. Malgré l’insistance du parquet fédéral, Nkezabera ne sera pas poursuivi pour génocide : la chambre des mises en accusation estime que ce crime n’ayant été introduit en droit belge qu’en 1999, la loi ne peut avoir d’effet rétroactif. Toujours en Belgique, le procureur fédéral Philippe Meire n’exclut pas que des suspects du FPR pourraient être poursuivis et rappelle qu’il exécuterait le cas échéant des mandats d’arrêt européens qui viseraient des membres du FPR[67][64]. La procédure menée par le tribunal national (Audiencia Nacional) en Espagne contre 40 suspects du FPR continue, et les mandats lancés contre eux diminuent sérieusement leur liberté de mouvement, du moins dans l’espace judiciaire européen[68][65]. Nouveau rebondissement dans cette instruction, fin 2008 : un témoin, ancien haut responsable des services rwandais de renseignements, affirme que l’assassinat de Laurent Kabila, en janvier 2001, a été organisé et financé par le régime de Kigali[69][66].
L’instruction judiciaire menée en France contre neuf proches du président Kagame a connu une évolution spectaculaire. Le 9 novembre 2008, la responsable du protocole de la présidence rwandaise, Rose Kabuye, visée par un mandat français, est arrêtée à l’aéroport de Francfort ; elle marque immédiatement son accord pour être transférée en France. Le 11 novembre, l’ambassadeur d’Allemagne à Kigali est prié de quitter le territoire et celui du Rwanda à Berlin est rappelé pour consultations. Le lendemain, Kabuye est transférée à Paris, entendue par les magistrats instructeurs, mise en examen (c'est-à-dire inculpée) pour « complicité d’assassinats et association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », et placée sous contrôle judiciaire. Elle n’est donc pas arrêtée, mais il lui est interdit de quitter la France sans autorisation et elle doit répondre à toute nouvelle convocation des juges. Elle recevra à plusieurs reprises la permission de se rendre au Rwanda, et elle reprendra même ses fonctions à la fin mars 2009, parce que les autorités rwandaises pensent, erronément[70][67], que le mandat d’arrêt est levé et qu’elle peut à nouveau se rendre où elle le veut. Alors que le gouvernement rwandais proteste vigoureusement et organise des manifestations de soutien à Kabuye, en réalité il a voulu cet incident. Averti par les Allemands qu’elle serait arrêtée si elle venait, le régime envoie Kabuye en éclaireur et tente de faire d’une pierre, trois coups : la solidité de l’entraide judiciaire européenne est testée, la mise en examen permet l’accès au dossier[71][68] et, dans les termes de la ministre de l’Information Louise Mushikiwabo, « un procès mettrait en lumière les tentatives de la France à faire oublier (…) sa propre complicité dans le meurtre de masse »[72][69]. Les manipulations commencent immédiatement. D’une part, deux jours après l’arrestation de Kabuye, un témoin important dans le dossier, Abdul Ruzibiza, se rétracte et dit avoir menti au sujet de l’attentat dans une série de déclarations publiques, dans son livre[73][70], dans sa déposition devant le juge Bruguière et dans son témoignage sous serment devant le TPIR en mars 2006[74][71].D’autre part, le gouvernement français, qui souhaite rétablir les relations diplomatiques avec le Rwanda et clore cet épisode pénible, joue la carte de l’apaisement, peut-être au prix du reniement de l’instruction[75][72].
Le régime rwandais combat également la procédure française (et accessoirement celle menée en Espagne) de deux façons. D’une part, il mène une campagne assidue contre les « abus de la compétence universelle » et rallie l’Afrique à cette cause. Le 16 mai 2008, le parlement panafricain condamne les inculpations, considérées comme une violation de la souveraineté d’un État membre de l’Union africaine (UA). Début juillet, les chefs d’État et de gouvernement africains réunis à Sharm el-Sheikh s’insurgent contre les « abus du principe de la compétence universelle (qui pourraient) mettre en danger le droit, l’ordre et la sécurité internationaux ». Début octobre, les ministres africains de la Justice de l’UA s’expriment dans le même sens. À l’occasion de l’arrestation de Rose Kabuye, la commission de l’UA rappelle la résolution de Sharm el-Sheikh et demande formellement que « la question de l’abus du principe de la juridiction universelle soit inscrite à l’ordre du jour de la troïka ministérielle Afrique-UE prévue les 20 et 21 novembre 2008 ». Lors de leur session ordinaire en février 2009, les chefs d’État et de gouvernement de l’UA réitèrent leur position de juillet 2008 et regrettent l’exécution du mandat d’arrêt contre Kabuye, « ainsi créant une tension entre l’UA et l’UE ».
Ces prises de position appellent deux observations. La première est que l’Afrique réclame en réalité que seuls les Africains soient compétents pour juger d’autres Africains, ce que la déclaration de juillet 2008 affirme plus qu’implicitement (« La nature politique et l’abus du principe de la compétence universelle par des juges de certains États non-africains contre des dirigeants africains, le Rwanda en particulier, est une violation claire de leur souveraineté et leur intégrité territoriale »). Cette déclaration est non seulement contraire au statut de la Cour pénale internationale (que 30 États africains ont ratifié), mais elle n’est même pas suivie dans les faits : ainsi, le Sénégal tarde soit à juger, soit à extrader vers la Belgique l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré, qui se trouve sur son territoire depuis 1990. Les inculpés rwandais sont d’ailleurs en bonne compagnie. Lors du sommet de février 2009, l’UA fait également bloc derrière le président soudanais Omar el-Béchir, contre lequel un mandat d’arrêt a été émis par la CPI; tout comme au sujet des dossiers rwandais, le président de la commission de l’UA déclare « qu’il y a un problème à ce que la CPI ne vise que les Africains »[76][73].
La seconde observation a trait, du moins en ce qui concerne le dossier français, à l’identification (probablement volontairement) erronée du problème. En effet, la justice française n’est pas saisie du dossier de l’attentat du 6 avril 1994 en vertu d’une quelconque compétence universelle, mais bien parce que trois des victimes sont françaises ; il s’agit d’un fondement de compétence pénale que l’on trouve dans la législation de nombreux pays, et qui n’a donc rien d’extraordinaire. Le régime de Kigali ne peut être ignorant de cette réalité, mais il estime sans doute que la formulation en termes d’« abus de la compétence universelle » est plus mobilisatrice. Toutefois, il utilise cet argument de façon très sélective, puisqu’il salue les condamnations, en vertu de cette même compétence universelle, de suspects du génocide, c'est-à-dire ses adversaires, dans des pays tiers ; encore en février 2009, le gouvernement rwandais exhorte la communauté internationale à extrader ou à juger (en vertu de la compétence universelle) , dans les pays où ils se trouvent, des personnes recherchées par la justice rwandaise.
La seconde façon de combattre la procédure française est l’allumage d’un contre-feu. Les relations du nouveau régime avec la France ont toujours été exécrables, et les relations diplomatiques ont été rompues par le Rwanda en novembre 2006, suite à l’émission de mandats d’arrêt contre neuf suspects rwandais (cf. supra). Après avoir accusé la France de complicité dans le génocide, le pouvoir rwandais passe à la vitesse supérieure en avril 2006, par la mise en place d’une « Commission nationale indépendante chargée de rassembler les preuves montrant l’implication de l’État français dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994 ». Le nom de cette « commission indépendante » se passe de tout commentaire. Alors que le rapport de la Commission Mucyo, d’après le nom de son président, ancien ministre de la Justice[77][74], est prêt le 15 novembre 2007, ce n’est que le 5 août 2008 que le gouvernement le rend public. La brique de 331 pages et 166 pages d’annexes[78][75] accuse la France d’avoir été activement impliquée dans le génocide, aussi bien avant que pendant les faits : assistance militaire à l’ancien régime, participation directe aux combats, formation des miliciens interahamwe et contribution à l’autodéfense civile, violences et ségrégation ethnique sur les barrières, agressions sexuelles et viols, collaboration avec le gouvernement intérimaire, opération Turquoise[79][76] et collaboration avec les responsables du génocide après leur départ en exil.
Dès avant la publication du rapport, Kagame annonce que des responsables français pourraient être poursuivis pour crimes commis au Rwanda. La commission Mucyo demande au gouvernement « de se réserver le droit de porter plainte contre l’État français » et de « soutenir toute action (…) de victimes qui souhaiteraient porter plainte devant les tribunaux pour le préjudice causé par les actions de l’État français et/ou ses agents au Rwanda ». En riposte à l’arrestation de Rose Kabuye, Kagame confirme le 12 novembre 2008 que « nos juges (…) peuvent lancer un mandat d’arrêt contre des personnes (…) en France » ; une source au parquet général du Rwanda indique au même moment que des actes d’accusation contre 23 des 33 civils et militaires français accusés par la commission Mucyo « sont en train d’être finalisés, des mandats d’arrêt peuvent être lancés à tout moment »[80][77].
Le rapport pose cependant problème, pour plusieurs raisons. Très sélectif dans ses sources et citations, il omet d’évoquer toute responsabilité du FPR dans le drame. Il cite de nombreux témoins, mais on ne sait pas dans quelles conditions ils ont été interrogés et on ne peut pas les contre-interroger. Certaines données paraissent invraisemblables : on songe notamment au largage par hélicoptère de Tutsi au-dessus de la forêt de Nyungwe ; ces victimes font par la suite leur récit à la commission. Impossible de faire une vérification des témoignages, mais on a pu contrôler l’authenticité d’un document reproduit à la page 295 du rapport, et celui-ci s’est avéré un faux grossier. Il s’agit d’une lettre prétendument envoyée le 2 juin 1998 par le colonel Gilles Bonsang, commandant du camp de Caylus (Tarn-et-Garonne) , qui fait état de dépenses et de livraisons en faveur de l’ALIR (Armée de libération du Rwanda), des ex-FAR et des Interahamwe. Or, en juin 1998, cela fait près d’un an que Bonsang a quitté Caylus ; le 7ème RIMA (Régiment d’infanterie de marine), que Bonsang est censé commander, a été dissout des années auparavant ; Bonsang a été lieutenant-colonel, mais jamais colonel ; censé avoir signé la lettre par ordre du général Germanos (présenté comme « chef d’état-major des Forces spéciales », alors qu’il était à l’époque chef du cabinet militaire du ministre de la Défense), il n’a jamais été sous ses ordres (par ailleurs, la lettre mentionne Yves Germanos, alors que le prénom du général est Raymond). Enfin, tant le fond que la forme de la lettre ne résistent à un examen interne. Le membre de la commission Mucyo contacté à ce sujet n’a pu m’opposer qu’un silence gêné…
Jacques Sémelin, spécialiste français des génocides qui ne peut être soupçonné d’antipathies pour le régime rwandais, conclut que « la finalité de ce rapport est politique, donner au Rwanda la base d’une attaque juridique contre les dirigeants français de l’époque, pour contrecarrer l’action du juge Bruguière envers les dirigeants du FPR »[81][78]. Le rapport Mucyo n’a fait l’objet que d’une seule analyse approfondie[82][79]. Puisqu’elle émane de détenus du TPIR, on est évidemment invité à une lecture critique et méfiante. Cependant, cette analyse comporte un nombre d’exemples précis et concrets de contradictions et d’impossibilité s dans plusieurs témoignages. Elle doit évidemment être lue avec les mêmes réserves que le rapport qu’elle critique, mais elle inspire suffisamment de doutes pour conclure qu’une enquête objective et impartiale est nécessaire. C’est ainsi que la saga du rapport Mucyo est largement interprétée, sauf par les inconditionnels du régime rwandais. C’est d’ailleurs le sens d’une lettre adressée le 12 septembre 2008 au secrétaire général de l’ONU par Paul Quilès, qui présida en 1998 la mission parlementaire française d’information sur le génocide : il demande la création d’une « commission de personnalités indépendantes » pour établir « de manière incontestable » les responsabilité s dans le génocide[83][80].
Un autre contre-feu allumé contre l’instruction du juge Bruguière est la mise en place, en octobre 2007, d’un « comité d’experts indépendants », présidé par l’ancien président de la Cour suprême Jean Mutsinzi, chargé d’enquêter sur l’attentat de 1994 contre l’avion présidentiel. Son rapport est déposé le 7 mai 2009, mais – bien qu’un communiqué du conseil des ministres ait annoncé qu’il serait rendu public « dans les prochains jours »[84][81] – il n’est pas disponible au moment d’écrire ces lignes (fin mai 2009).
4. DROITS DE LA PERSONNE
Lors de l’étude du rapport périodique du Rwanda, le Comité des droits de l’homme de l’ONU émet un certain nombre d’observations critiques[85][82]. Tout en félicitant le Rwanda pour l’abolition de la peine de mort et la représentation des femmes au parlement, il exprime ses inquiétudes sur un grand nombre de points. Il évoque notamment « les cas de disparitions forcées et d’exécutions sommaires ou arbitraires au Rwanda, ainsi que l’impunité dont semblent jouir les forces de l’ordre responsables de ces violations » (§ 12), « les nombreux cas de personnes, y compris des femmes et des enfants, qui auraient été tuées en 1994 et au-delà, lors d’opérations de l’APR, ainsi que par le nombre restreint de cas qui auraient fait l’objet de poursuites et sanctions » (§ 13), le remplacement de la peine de mort « par la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’un isolement cellulaire » (§ 14), les « conditions carcérales déplorables » (§ 15), « l’arrestation au motif de vagabondage de personnes appartenant à des groupes vulnérables, tels les enfants de rue, mendiants et travailleurs du sexe » (§ 16), le fait que « le système d’administration de la justice par les gacaca ne fonctionne pas conformément aux règles fondamentales relatives au droit à un procès équitable, notamment en ce qui concerne l’impartialité des juges et la protection des droits des accusés » (§ 17), le fait que « des journalistes qui se sont montrés critiques vis-à-vis du gouvernement seraient actuellement victimes d’intimidation ou d’actes d’agression de la part des autorités (…), et que certains auraient été inculpés de ‘divisionnisme’ » (§ 20) et « les obstacles qui seraient mis à l’enregistrement et à la liberté d’action des ONG de défense des droits de l’homme et des partis politiques d’opposition » (§ 21).
Quant à l’année écoulée, le rapport annuel sur les droits humains par le Département d’État américain résume ainsi la situation : « Des violations significatives des droits de la personne ont eu lieu, même s’il y a eu des améliorations dans certains domaines. Le droit des citoyens de changer de gouvernement était limité et le personnel des LDF a été coupable de quatre meurtres durant l’année. La violence contre les rescapés et témoins du génocide par des assaillants inconnus a coûté au moins seize vies. Il y a eu des rapports de torture et d’abus de suspects, mais significativement moins que durant les années précédentes. Les conditions dans les prisons et centres de détention sont restées rudes. Les forces de sécurité ont arrêté et détenu des personnes de façon arbitraire. La détention préventive prolongée était un problème, et des officiels du gouvernement ont tenté d’influencer des procédures judiciaires, surtout concernant le système de la justice communautaire connue comme gacaca. Les restrictions des libertés d’expression et d’association ont continué, et celles concernant la presse ont augmenté. Le gouvernement a limité la liberté religieuse, et la corruption officielle a posé problème. Des restrictions imposées à la société civile, la violence sociale et la discrimination contre les femmes, le recrutement d’enfants-soldats par des représentants d’un groupe armé en RDC[86][83], le trafic de personnes, le travail d’enfants et des restrictions aux droits sociaux ont eu lieu »[87][84].
Ces constats sont graves, mais ils auraient pu être faits au sujet de n’importe quelle autre dictature banale en Afrique, et le rapport observe d’ailleurs des améliorations dans certains domaines. Mais le Rwanda n’est pas une banale dictature, et ce que le rapport omet de constater, c’est que le régime a, depuis plusieurs années, atteint le stade où la répression visible n’est plus réellement nécessaire : les espaces publics, tant politiques que sociaux, sont fermement contrôlés, et la compétition politique est inexistante ou, au mieux, manipulée (cf. supra) ; les massacres, « disparitions » et intimidations du passé ont forcé les Rwandais dans la soumission et le silence, et très rares sont ceux qui s’aventurent encore à exprimer une voix dissidente ; l’incertitude créée par la criminalisation du « divisionnisme » et de l’« idéologie du génocide » incite encore davantage au mutisme.
Après avoir réduit au silence les voix intérieures qui pourraient dénoncer les violations des droits humains, le régime tente depuis plusieurs années de museler celles qui le font à l’extérieur. Plusieurs cas ont été mentionnés dans les Annuaires précédents. Le 4 septembre 2008, la conseillère principale pour l’Afrique de Human Rights Watch, Alison Des Forges[88][85], est une première fois interdite d’accès au territoire rwandais ; en provenance de Bujumbura par voie terrestre, elle est refoulée. Le 2 décembre, lorsqu’elle se rend par avion à Kigali, où elle doit participer à une conférence internationale sur l’assistance judiciaire, il lui est interdit de quitter l’avion et elle est obligée de retourner à Bruxelles. Alors qu’elle avait critiqué les performances de l’ancien régime en matière de droits humains, contribué de façon majeure à documenter le génocide[89][86] et agi à de très nombreuses reprises comme témoin-expert à charge de suspects du génocide devant le TPIR et dans un nombre de pays tiers, elle avait également dénoncé les pratiques du nouveau pouvoir et exigé notamment que des suspects du FPR soient jugés par le TPIR. Déjà très mal vue à Kigali, il est probable que le rapport cité plus haut sur la justice rwandaise[90][87] ait été la goutte proverbiale. Face aux protestations internationales, le régime prétend, contre toute évidence, que l’interdiction de séjour « n’a rien à voir avec les droits humains », mais que c’est « un cas individuel » relevant des « règles en matière d’immigration »[91][88]. La véritable raison sera plus tard concédée par le procureur général Martin Ngoga, lorsqu’il affirme que « les ingérences de HRW n’ont bénéficié qu’aux génocidaires »[92][89].
Déjà en août 2008, la ministre de l’Information accuse la BBC et la VOA de « détruire l’unité des Rwandais » et annonce que le gouvernement a « la capacité et le droit » de suspendre la diffusion de leurs émissions « si la situation ne change pas »[93][90]. Le 25 avril 2009, le gouvernement interdit les émissions en kinyarwanda de la BBC. Ayant entendu quel serait le contenu du programme « Imvo n’Imvano », la ministre de l’Information justifie la mesure en disant qu’il comprend des « most outrageous statements », notamment parce qu’un interlocuteur y affirme que des corps charriés en 1994 vers le lac Victoria seraient ceux de victimes du FPR. Au début mai, la mesure est contestée par les éditeurs est-africains, réunis pour une conférence régionale à Kigali, qui l’estiment « dictatoriale »[94][91]. Après avoir lu la transcription de l’émission, l’ambassadeur britannique au Rwanda, Nicholas Cannon, estime qu’elle « ne contient aucune trace qu’elle fomente la haine ou nie le génocide » et il exprime la « déception de son gouvernement » face à la mesure rwandaise[95][92].
5. LE RWANDA EN RDC
La guerre civile rwandaise continue d’avoir ses effets au-delà de la frontière, en RDC. La signature d’un accord entre le Rwanda et la RDC, le 9 novembre 2007, et l’accord Amani négocié le 23 janvier 2008 à Goma entre les protagonistes congolais n’ont pas donné les résultats que d’aucuns espéraient. Bien au contraire : en réalité, après la signature des actes d’engagement pour la paix au Sud- et au Nord-Kivu, certains groupes armés se sont reconstitués, d’autres ont été nouvellement créés. Les hostilités reprennent de façon intense à la fin du mois d’août 2008 au Nord-Kivu, lorsque le CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) de Laurent Nkunda, qui s’était retiré depuis plusieurs mois du processus Amani (dont il avait pourtant signé l’« acte d’engagement »), attaque à nouveau l’armée gouvernementale (FARDC). Kabila accuse le Rwanda « de ne pas être innocent » et d’apporter son soutien aux insurgés, ce que le Rwanda évidemment nie : « Les déclarations du président Kabila sont de fausses allégations », affirme la ministre rwandaise des Affaires étrangères, qui les estime « très regrettables »[96][93].
Dans une tentative de rompre avec son image de « défenseur des Tutsi », Laurent Nkunda annonce le 2 octobre 2008 que le CNDP veut « porter sa lutte jusqu’à la libération du peuple » : « Nous nous transformons en un mouvement de libération totale de la République »[97][94]. Cette déclaration est fermement condamnée par la MONUC : « La MONUC et la communauté internationale ne tolèrent pas cette nouvelle tentative de déstabiliser le processus politique »[98][95]. Le président national d’une association de Banyamulenge en fait de même et « rappelle que l’entreprise de Nkunda met en péril les intérêts des Tutsi qu’il prétend protéger »[99][96]. Le 8 octobre, le Congo saisit le conseil de sécurité, accusant le Rwanda de se préparer à attaquer Goma sous le couvert du CNDP et d’avoir déjà des troupes sur le terrain au Nord-Kivu. Alors que les FARDC abandonnent Goma face à l’avancée des troupes de Nkunda, avant qu’un seul coup de feu ne soit tiré, le 29 octobre, le conseil de sécurité condamne l’offensive et demande qu’il soit mis fin aux opérations. Sans ouvertement accuser le Rwanda, il exprime son inquiétude concernant « les informations faisant état de tirs à l’arme lourde à la frontière de la RDC et du Rwanda » et demande aux deux pays de « faire des avancées concrètes pour désamorcer les tensions et restaurer la stabilité dans la région »[100][97]. Le même jour, le CNDP proclame « un cessez-le-feu unilatéral (…) dans le but de ne pas paniquer la population de la ville de Goma ». Le 31 octobre, les présidents rwandais et congolais acceptent, sous forte pression internationale[101][98], de participer à un nouveau sommet sur la crise. Avançant que « le conflit est une affaire intérieure congolaise », le Rwanda avait jusque là résisté à pareille initiative, mais Frazer force la main à Kigali en déclarant que « le territoire rwandais est utilisé pour appuyer le CNDP »[102][99]. Le lendemain, la MONUC accuse le Rwanda d’avoir tiré à l’arme lourde sur le territoire congolais, ce que Kigali nie, comme d’habitude[103][100]. Comme il fallait s’y attendre, le sommet de Nairobi du 7 novembre ne donne rien : en effet, il ne peut que répéter la nécessité de mettre en œuvre des accords qui existent depuis longtemps, notamment sur le désarmement de groupes armés.
Le spectre d’une nouvelle guerre régionale menace. D’une part, l’implication active du Rwanda aux côtés de Nkunda se précise[104][101] ; face à ce qu’il devient de plus en plus difficile de nier, l’ambassadeur Joseph Mutaboba, envoyé spécial du Rwanda pour la région, « n’exclut pas que des soldats rwandais démobilisés participent aux combats »[105][102]. D’autre part, réunie à Johannesbourg le 9 novembre, la SADC se dit prête à envoyer « si nécessaire (…) des troupes de maintien de la paix dans l’est de la RDC ». De son côté, Kinshasa fait une nouvelle fois appel à l’Angola[106][103], qui annonce le 12 novembre qu’il s’apprête à envoyer des troupes au Congo[107][104].
L’escalade semble toutefois évitée lorsque, le 15 novembre, la RDC et le Rwanda signent un accord qui prévoit la mise sur pied d’une opération militaire conjointe, associant des officiers de renseignements rwandais aux forces congolaises, visant la neutralisation des FDLR. Le Rwanda s’engage également à contribuer à dégager une solution politique au problème du CNDP. Le 5 décembre, les deux pays approuvent le « plan d’opérations contre les ex-FAR/Interahamwe/ FDLR tel que préparé conjointement par les officiers des FARDC et ceux des RDF et (font) appel à sa mise en œuvre rapide »[108][105]. Dans l’entretemps, l’ancien président du Nigéria Olusegun Obasanjo, désigné comme médiateur par l’UA, entame des pourparlers avec le CNDP, qui lui remet un « cahier de charges »[109][106]. La médiation d’Obasanjo se traînera d’un incident à l’autre, avant d’être finalement dépassée par les faits (cf. infra).
Le 12 décembre, un rapport de l’ONU vient à la fois clarifier et compliquer les choses. Alors que, on l’a vu, le Rwanda a toujours nié être impliqué au Congo, un groupe d’experts conclut que Kigali continue de fournir une aide militaire et financière au CNDP ; il constate également que les FARDC coopèrent avec les FDLR[110][107]. Ni Kigali ni Kinshasa n’honorent dès lors les engagements pris et réaffirmés à plusieurs reprises. Dans son style habituel, le gouvernement rwandais dénonce les « dangerous inaccuracies and outright lies » contenus dans le rapport, dont les objectifs sont « malicious » et qui est rempli d’accusations « resulting from hearsay, perceptions and stereotypes ». Comme toujours, tout est de la faute des autres : l’ONU et la communauté internationale « have failed to neutralize the persistent threat » posé par les FDLR, et elles devraient « boldly acknowledge and confront their own failures and weaknesses »[111][108]. Usant une fois de plus du « crédit génocide », la ministre rwandaise de l’Information ajoute que le rapport « relève d’un complot de pays puissants (…) visant à cacher leur culpabilité après avoir abandonné les Rwandais pendant le génocide »[112][109]. Même les amis sont las des mensonges rwandais et, malgré les dénégations, les Pays-Bas[113][110] et la Suède suspendent leur aide budgétaire, en réaction au rapport, et Kigali voit avec inquiétude que des voix influentes s’élèvent au Royaume-Uni pour que son bailleur principal en fasse de même[114][111].
La réaction rwandaise est d’une part idéologique, de l’autre « realpolitique ». Sur le plan idéologique, Kagame affirme que le Rwanda doit cesser d’être dépendant de l’aide internationale : « We (…) must find an immediate solution to handouts »[115][112] et « come out of the reliance on foreign aid »[116][113]. Il développe un discours nationaliste dans son message de fin d’année, lorsqu’il accuse l’Occident de « bloquer notre développement parce que c’est dans son intérêt de nous maintenir arriérés »[117][114]. Début mars 2009, il invite l’économiste zambienne Dambisa Moyo, qui vient de publier un livre très critique de l’aide internationale[118][115], pour qu’elle vienne expliquer comment le Rwanda pourrait devenir autosuffisant. Kagame précise ses ambitions dans un article dans le Financial Times[119][116] où il estime que la question centrale est de savoir quand mettre fin à l’aide et comment le faire. Alors que l’idée est mobilisante, la réalité est toutefois que le Rwanda se situe à la 33ème place en Afrique en termes de PIB par habitant et qu’environ 60 % de son budget et 25 % de son PIB proviennent de l’aide. D’ailleurs, Kagame se rend bien compte de la fragilité de sa position. Après la parution d’un article sous le titre “Shun Aid, Kagame Tells Youths” dans le New Times du 26 mai 2009, le cabinet présidentiel, estimant que cet article « a semé la confusion parmi les Rwandais et le monde au sujet des vues du président Kagame sur le développement et le rôle nécessaire de l’aide dans ce processus », précise qu’il est opposé à la « mauvaise aide », mais qu’il « apprécie pleinement le rôle joué par la bonne aide »[120][117].
La Realpolitik s’exprime de deux façons complémentaires. D’une part, le 14 janvier 2009, à l’issue d’une brève lutte pour le pouvoir, Nkunda est évincé à la tête du CNDP par son chef d’état-major Bosco Ntaganda[121][118] et remplacé par le Dr Désiré Kamanzi, qui travaille au Kigali Health Institute (KHI). Le 23 janvier, Nkunda est arrêté à Gisenyi dans des circonstances obscures et détenu incommunicado au Rwanda[122][119]. Ce retournement contre cet allié est censé faire oublier le rapport du groupe d’experts de l’ONU ; cette tentative assez transparente semble même réussir, du moins auprès du commissaire européen Louis Michel, qui déclare que « [l]’arrestation de Laurent Nkunda est un signe que le Rwanda n’est pas derrière lui »[123][120] et qui confirme ainsi son soutien inconditionnel à Kagame.
D’autre part, le 20 janvier, plusieurs milliers de militaires rwandais traversent la frontière, afin de mener une opération conjointe, plus tard baptisée « Umoja wetu » (‘notre unité’) par Kigali, avec les FARDC pour neutraliser tant les FDLR que le CNDP. La présence des FRD dépasse de loin les « officiers de renseignements » prévus dans l’accord du 15 novembre 2008 (cf. supra) et même « des officiers rwandais avec leurs contingents pour leur sécurité », présentés comme des « observateurs » par le ministre congolais de l’Information Lambert Mende[124][121]. L’entrée massive de l’armée rwandaise, autorisée par une décision opaque prise par un cercle obscur, suscite une vive controverse au Congo. Vital Kamerhe, le président de l’Assemblée nationale pourtant considéré comme très proche de Kabila, se dit étonné : « Maintenant vous me dites que les troupes rwandaises viennent d’entrer au Congo. Je préfère croire que c’est faux, puisque si c’est vrai, c’est tout simplement grave »[125][122]. Le lieutenant-gé néral Didier Etumba, chef d’état-major général des FARDC, dit ne pas être informé de l’opération, tout comme le général de brigade Vainqueur Mayala, commandant de la région militaire du Nord-Kivu où elle se déroule pourtant. On apprend par la suite que, du côté congolais, l’opération est commandée par l’inspecteur général de la Police, John Numbi, très proche du président Kabila, qui entretient de bons rapports avec Kigali et qui l’a montée dans le plus grand secret. Le fait que le commandement ait été assumé par un officier de police montre probablement que le rôle des FARDC dans l’opération a été limité.
L’opération conjointe tant contestée intervient parce que, en ce moment précis de la conjoncture politique, les intérêts des pouvoirs congolais et rwandais se rencontrent. Kinshasa s’est cassé les dents sur le CNDP, qui a infligé une défaite cinglante après l’autre aux FARDC, tandis que Kigali a un agenda officiel et officieux : officiellement, il veut aider les FARDC à neutraliser les FDLR ; officieusement, il veut marquer ses distances avec le CNDP, afin de ménager ses rapports avec les bailleurs (cf. supra), et certains observateurs voient des objectifs plus largement économiques derrière l’intervention rwandaise[126][123]. Alors qu’en faisant appel à l’armée rwandaise, détestée par la grande majorité des Congolais, Kabila prend un risque politique considérable[127][124], l’objectif de Kinshasa est atteint : le CNDP n’offre pas de résistance aux troupes de son allié rwandais et se mue en parti politique. Il entend poursuivre sa lutte, mais par des moyens « purement politiques » et « selon les lois de la République » ; il demande également la promulgation d’une loi « amnistiant les faits insurrectionnels et de guerre »[128][125]. Il est beaucoup moins certain que le Rwanda ait atteint son objectif déclaré. Pendant l’opération conjointe, les FDLR se sont retirées de leurs positions, mais elles les ont en général reprises depuis et les ont parfois même renforcées au Sud-Kivu, et la situation humanitaire s’est empirée, notamment parce que, à leur retour, les FDLR se vengent contre les populations locales, accusées de les avoir « trahies ». Par le passé, le Rwanda s’est toujours abstenu de combattre activement les FDLR, et il ne semble pas l’avoir fait non plus à cette occasion. Le bilan officiel de l’opération « Umoja wetu » est parlant[129][126] : 153 éléments des FDLR tués, 13 blessés, 37 capturés et 103 qui se sont rendus, donc un total d’environ 300 sur les 6 à 7000 hommes que les FDLR sont censées aligner. Le bilan provisoire de l’opération est donc à première vue paradoxal, puisque l’armée rwandaise a neutralisé son allié (le CNDP), mais pas son adversaire (les FDLR).
6. CONCLUSION
La nature du régime, visible depuis de nombreuses années, s’est encore précisée. Sur le plan politique, un texte très sévère de Kenneth Roth, directeur de Human Rights Watch[130][127], résume bien des constats inévitables : « Malgré la façade d’élections occasionnelles, le gouvernement dirige essentiellement un État à parti unique. Ironiquement, c’est le génocide qui a offert à ce gouvernement une couverture pour la répression. (…). Les juridictions gacaca ont été un des instruments de la répression. (…) (elles sont) devenues un forum pour le règlement de comptes personnels ou pour museler les voix dissidentes. (…) La loi réprimant l’’idéologie du génocide’ est rédigée de façon si large qu’elle peut couvrir les commentaires les plus anodins. Comme de nombreux Rwandais l’ont découvert, être en désaccord avec le gouvernement ou faire des déclarations impopulaires peut aisément être présenté comme relevant de l’idéologie génocidaire ». Il termine par cet appel : « Le meilleur moyen de prévenir un autre génocide est d’insister pour que Kagame cesse de manipuler le dernier ». Mais ce n’est pas uniquement la façon dont les « élections » de 2008 ont été conduites, ni les abus de la justice, ni les violations visibles des droits humains qui mènent à la dangereuse impasse dans laquelle se trouve le pays. Les ambitions d’une profonde ingénierie sociale, telle qu’elle s’exprime notamment à travers la réécriture de l’histoire et la « rééducation », les réformes foncière et agraire, la « modernisation » forcenée, l’exclusion et la marginalisation d’un nombre croissant de Rwandais, l’impunité accordée aux hommes du régime et la culpabilisation collective des Hutu, menacent de façon encore bien plus profonde l’avenir du Rwanda et de la région.
Anvers, mai 2009
The Truth can be buried and stomped into the ground where none can see, yet eventually it will, like a seed, break through the surface once again far more potent than ever, and Nothing can stop it. Truth can be suppressed for a "time", yet It cannot be destroyed. ==> Wolverine
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